M. Komlanvi Issifou Agbam (Togo) Prix de l'AHJUCAF 2024. M. Guy Azebove Tetang (Cameroun) mention spéciale

Le jury de l’édition 2024 du Prix de l’AHJUCAF pour la promotion du droit s'est réuni le 21 juin 2024 au Tribunal fédéral de Suisse à Lausanne. Parmi les dossiers de qualité émanant de candidats originaires de 10 pays différents, ceux de M. Komlanvi Issifou Agbam (Togo) et M. Guy Azebové Tetang (Cameroun) se sont dégagés.
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A l'unanimité, le Prix 2024 de l'AHJUCAF pour la promotion du droit a été décerné à M. Komlanvi Issifou AGBAM pour sa thèse « Le contrat face à l’imprévision dans les pays francophones d’Afrique subsaharienne : essai d’une analyse normative socio-économique », réalisée sous la codirection de MM. les professeurs Charles-Edouard Bucher, Reza Moradinejad et Kuassi Deckon, soutenue à l’Université de Laval (Canada - Québec) le 15 décembre 2023.

Monsieur Komlanvi Issifou AGBAM, de nationalité togolaise, est âgé de 34 ans. Il est titulaire d’un double doctorat obtenu en décembre 2023 dans le cadre d’une cotutelle internationale entre l'Université de Nantes et l’Université Laval du Québec. Il porte un intérêt particulier au droit des obligations dans une approche comparative, ainsi qu'aux théories contractuelles. Il a été auxiliaire de recherche et d’enseignement en droit des obligations à la Faculté de droit de l’Université Laval entre 2019 et 2024 puis attaché temporaire d’enseignement et de recherche en droit privé à l’Université de Bourgogne en 2021 et à l’Université de Haute-Alsace en 2022. Il s’intéresse également, aux problématiques liées au transport maritime de marchandises et est président fondateur de l’Association togolaise de droit maritime.

Résumé de la thèse de M.  Komlanvi Issifou Agbam : « Le contrat face à l’imprévision dans les pays francophones d’Afrique subsaharienne : essai d’une analyse normative socio-économique »

À rebours des droits originellement africains, les droits modernes africains au sens positif du terme, tel qu’ils ont été hérités de la colonisation peinent à satisfaire l’aspiration des sociétés africaines contemporaines à un minimum de normativisation des relations sociales. Le refus du juge d’adapter le contrat déséquilibré en cas d’un changement de circonstances imprévisible en droit civil des pays francophones d’Afrique au Sud du Sahara, résultant du mimétisme du Code civil français de 1804, en témoigne. Par son refus obstiné, le juge poursuit une politique coloniale, en dépit de l’indépendance des pays concernés. Le Code civil français de 1804 qui s’applique presque intégralement dans les pays francophones d’Afrique au Sud du Sahara (à droit civil non codifié), et qui a fortement influencé la rédaction du Code civil des pays francophones d’Afrique au Sud du Sahara à droit civil codifié, a été profondément réformé en 2016. S’est ainsi créé un fossé considérable entre le droit contractuel africain resté fidèle au Code civil français de 1804 et un droit des obligations français en modernisation et en adéquation avec les pratiques contractuelles de la société française et européenne. À la différence du nouveau droit français des contrats, la plupart des systèmes juridiques des pays francophones d’Afrique au Sud du Sahara ne reconnaissent pas au juge le pouvoir d’adapter le contrat surpris par le fait imprévisible. Or, en Afrique traditionnelle ou moderne, il ne fait aucun doute que le contrat est plus solidaire et moins individualiste. Cette thèse constitue un plaidoyer pour la prise en considération de la théorie de l’imprévision dans les sociétés africaines, par le biais de la théorie relationnelle du contrat. 

Appréciation du jury :

La thèse de doctorat de Komlanvi Issifou AGBAM intitulée « Le contrat face à l’imprévision dans les pays francophones d’Afrique subsaharienne : essai d’une analyse normative socio-économique » et soutenue à Québec le 15 décembre 2023 est remarquable à plusieurs titres.
Cette recherche doctorale soutient une véritable thèse en convoquant les apports de différentes sciences sociales : sociologie, économie et histoire. Le propos est que la théorie de l’imprévision devrait être consacrée par les droits africains francophones. En effet, ces droits sont globalement restés fidèles au Code civil français, dans sa version datant du moment de l’indépendance, qui est traditionnellement hostile à la théorie de l’imprévision. Certes, la réforme du droit français des contrats de 2016 a admis la révision du contrat pour imprévision, mais cette réforme n’a été suivie, pour l'Afrique de l'Ouest, qu’en Guinée. 
L’intérêt et l’originalité de l’approche de M. AGBAM est de ne pas justifier la réforme des droits africains qu’il prône par un éventuel souci de reprendre la dernière version du modèle français, mais par le contexte africain qui justifie d’octroyer au juge le pouvoir d’adapter le contrat en cas de changement de circonstances altérant fondamentalement l’équilibre des prestations. En effet, le refus d’octroyer au juge un tel pouvoir traduit une philosophie individualiste qui n’est pas celle des sociétés africaines davantage tournées vers une vision plus socialisée et coopérative du contrat. Autrement dit, le refus par les droits africains de la théorie de l’imprévision n’est pas en phase avec les coutumes et les pratiques contractuelles des sociétés africaines.
Mais le mérite de la recherche de M. AGBAM ne se limite pas à son ouverture sur les sciences sociales et son intérêt pour les dimensions culturelles du droit. Le droit comparé est également à l’honneur et le lecteur sera impressionné par la richesse et la diversité des sources jurisprudentielles qui ont nourri ce travail de recherche : décisions africaines (Burkina Fasso, CCJA, Congo, Côte d’Ivoire, Egypte, Sénégal et Togo), mais aussi décisions françaises et canadiennes.
Au-delà de la solidité théorique de la thèse et de son apport doctrinal, le propos de M. AGBAM reste concret et se conclut par la rédaction d'un texte consacrant la théorie de l’imprévision. Cette proposition pourrait inspirer les législateurs africains, mais aussi les juges africains susceptibles de faire usage de leur pouvoir normatif en attendant l’intervention du législateur.
Pour toutes ces raisons, le jury du prix de thèse AHJUCAF 2024 a décidé, à l’unanimité, de récompenser cette thèse de grande qualité, recherche conduite sous la direction de trois professeurs de trois universités et trois pays (et continents) du vaste espace juridique francophone.

Plan de thèse 

 

A l’unanimité, le jury a attribué une mention spéciale  à Guy AZEBOVE TETANG pour sa thèse « L’imaginaire constitutionnel en Afrique subsaharienne », réalisée sous la codirection de MM les professeurs Jean-François Gaudreault-DesBiens, et Pierre Noreau, soutenue à l'Université de Montréal (Canada - Québec) le 11 mai 2023.

M. Guy AZEBOVE TETANG, de nationalité camerounaise, est âgé de 37 ans. Il a obtenu une maîtrise en droit et un diplôme d’études approfondies (DEA) en droit public fondamental à la Faculté de droit de l’Université de Yaoundé 2 (Soa), puis un doctorat en droit public (LL. D) à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal où il enseigne le droit constitutionnel, l'interdisciplinarité, l'interculturalité et la théorie du droit. Il assuré aussi un enseignement à la Faculté de droit (Section de droit civil) de l’Université d’Ottawa. 

Il a été en 2018 chercheur invité au Centre d’Études et de Recherches Comparatives sur les Constitutions, les Libertés et l’État (CERCCLE) de la Faculté de droit de l’Université de Bordeaux en France, ainsi qu’en 2019 à l’institut Max Planck d’anthropologie sociale, département de droit et d’anthropologie à Halle (Saale), en Allemagne. Il est l'auteur de plusieurs publications.

Résumé de la Thèse de M. Guy Azebové Tetang : « L’imaginaire constitutionnel en Afrique subsaharienne »

Le principal objectif de cette recherche consiste à suggérer une nouvelle hypothèse pour rendre intelligible la fabrique des constitutions en Afrique et, partant, rouvrir l’instance pendante du « procès en mimétisme » dont elle a longtemps été l’objet.
Tout au long de leur histoire, les pays d’Afrique subsaharienne ont été imprégnés de représentations contradictoires du politique, justifiant ainsi le caractère ambivalent des structures politiques actuelles qui d’une certaine façon porte l’empreinte de ce processus de gestation troublée. Le processus de structuration politique de ces États, amorcé depuis la période précoloniale, s’apparente à un « roman à la chaine » dont les chapitres n’ont pas cessé de se faire, voire de se refaire, à plusieurs « mains », locale et occidentale, à l’épreuve de cultures différentes. Cette formation discontinue s’accompagne d'une sédimentation de plusieurs couches successives mêlant tradition, colonialisme et modernité, reflétant les mutations qu’ont subies les sociétés africaines.
L’ordre constitutionnel qui en résulte semble s’être installé dans l’hybride à la jonction des orientations libérales inspirées par les États « du Nord » et réinterprétées par ceux qu’on dit « du Sud ». Tout se passe alors comme si le constitutionnalisme de ces pays était pris dans un tourbillon tissé d’imaginaires imbriqués. Il en résulte une tension entre les « standards constitutionnels » occidentaux et « les localismes constitutionnels ».
La « culture constitutionnelle » libérale en « migration » en Afrique subsaharienne s’accompagne ainsi d’une réappropriation contextuelle. Ainsi, l’imaginaire constitutionnel en Afrique subsaharienne a une texture composite. On est loin de l’espace de mimesis, ou de celui de « l’isomorphisme constitutionnel » suggéré par certains auteurs comme paradigme explicatif du constitutionnalisme en Afrique. Nous suggérons plutôt l’idée d’un « polymorphisme constitutionnel » propre à chaque environnement sociopolitique renfermant des références identitaires distinctes, voire antinomiques, dont le tissage s’opère aujourd’hui à travers une ré-imagination constitutionnelle continue. Au demeurant, peu importe le « milieu » constitutionnel, l’on observe, en quelque sorte, un constitutionnalisme qui « se danse », sur un mode fluent, selon un rythme fluctuant, entre commencement, inachèvement, recommencement et évanescence.

Plan de la thèse

 

Le jury du Prix de l’AHJUCAF 2024, réuni au Tribunal fédéral de Lausanne,  était composé de :

- M. Victor Dassi ADOSSOU, Président de la Cour suprême du Bénin, président de l’AHJUCAF, assisté de M. Wilfrid ARABA, auditeur à la Cour suprême du Bénin. M. ADOSSOU a été élu président du jury

- Mme Florence AUBRY GIRARDIN, Présidente de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral de Suisse, vice-présidente de l’AHJUCAF

- M. Jean-Paul JEAN, Président de chambre honoraire à la Cour de cassation de France, Secrétaire général de l’AHJUCAF, rapporteur

- Mme Cynthia FAMENONTSOA, Attachée de programme à la Direction des Affaires politiques et de la gouvernance démocratique, représentant l’Organisation internationale de la Francophonie

- M. Jean-Aloise Ndiaye, conseiller représentant Ciré Aly Ba, président de la Cour suprême du Sénégal, vice-président de l’AHJUCAF

- M. Karim El Chazli, chercheur à l’Institut suisse de droit comparé

- M. Fabrice HOURQUEBIE, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux

- M. Malick Sow, président de chambre à la retraite de la Cour suprême du Sénégal, chargé de mission de l’AHJUCAF

Procès verbal de délibération du jury du prix AHJUCAF 2024

 

Accédez à la vidéo d'annonce des lauréats du prix AHJUCAF 2024 par le président du jury