"Enfants-fantômes" et droit à l'état civil

250 millions d’enfants de moins de cinq ans dans le monde non déclarés à la naissance vivraient sans identité juridique. Etablir un état civil pour ces « enfants-fantômes » constitue une priorité notamment en Afrique afin de les faire accéder à l’éducation et aux autres droits fondamentaux. L’AHJUCAF contribue aux travaux de l’Organisation Internationale de la Francophonie de refonte du guide pratique de l’état civil pour faciliter les jugements supplétifs régularisant la situation juridique de ces enfants

 

 

L’Unicef mène une campagne pour l’inscription des enfants à l’état civil, relayée par plusieurs ONG.  

Les notaires et notamment l’Association du notariat francophone (ANF) ont contribué à cette sensibilisation de l’opinion publique en France et en Afrique à travers l’ouvrage de Laurent Dejoie et Me Abdoulaye Harissou, Les Enfants fantômes, préfacé par Robert Badinter.

 

 

Le livre a par ailleurs donné naissance en 2018 au documentaire « Enfants fantômes, un défi pour l'Afrique » « réalisé par Clément Alline pour LCP et Canal+.

L’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) a adopté en 2019 une loi-cadre relative à « l’enregistrement obligatoire, gratuit et public des naissances ainsi qu’à la reconnaissance juridique des enfants fantômes » en estimant que la déclaration à l’état civil était non seulement nécessaire pour garantir les droits démocratiques des citoyens et l’accès à des services essentiels comme la santé et l’éducation, mais constituait aussi un rempart fondamental contre le travail des enfants, la traite d’êtres humains et le mariage précoce.

L’AHJUCAF contribue aux travaux de l’Organisation Internationale de la Francophonie pour la refonte du guide pratique de l’état civil qui intéresse tous les acteurs locaux, au premier rang desquels les associations, les administrations et les juridictions.

Les magistrats du parquet, responsables de l’état-civil et les juges, par leurs pratiques et leurs jurisprudences, jouent un rôle actif dans la régularisation de l’état civil notamment par le biais des audiences foraines et des jugements supplétifs d’acte de naissance. L’AHJUCAF entend valoriser et soutenir ce rôle de la justice dans l’espace francophone.

En Afrique de l’Ouest et Afrique centrale, face à l’ampleur de la question des enfants fantômes, plusieurs pays renforcent leur politique en matière d’état civil, les pratiques de régularisation portant principalement sur les jugements supplétifs.

  • Bénin  

Au Bénin, passé le délai légal de déclaration d’une naissance, il est nécessaire de procéder à la régularisation de la situation de l’enfant se trouvant alors sans état civil.

La procédure de régularisation s’effectue par une demande d’autorisation d’inscription de naissance, sous forme d'une requête adressée au président de tribunal avec les pièces justificatives exigées.

La loi n° 2017-08 du 19 juin 2017 portant identification des personnes physiques en République du Bénin a été accompagnée d’une stratégie nationale d’identification des personnes pour la période 2020-2025.    

La loi du 19 juin 2017 

De novembre 2017 à avril 2018, le gouvernement a mené une opération nationale de recensement administratif à vocation d’identification des personnes (RAVIP). Cette opération a permis d’identifier les personnes ne disposant pas d’acte de naissance afin qu’elles puissent être régularisées et obtenir une carte d’identité biométrique.

Le gouvernement a adopté la loi du 3 août 2018 instituant le PEDEC (Projet d’Enregistrement Dérogatoire de l’Etat Civil) dont la mise en œuvre a été confiée à l’Agence Nationale d’Identification des Personnes (ANIP). 2.500.000 actes de naissances ont ainsi pu être établis et intégrés aux registres légaux puis remis sur l’ensemble du territoire national aux personnes sans état civil pour régulariser leur situation.

 

  • Côte d’Ivoire 

En Côte d’Ivoire, la régularisation d’une personne sans état civil passe par l’établissement d’un jugement supplétif d’acte de naissance.
La demande de jugement supplétif est conditionnée à la remise d’un certificat de naissance, d’un certificat de non déclaration de naissance, ainsi que d’une copie de la pièce d’identité des parents et de celui des deux témoins majeurs permettant d’attester de l’identité du demandeur. Le pays a également organisé dans le passé, plusieurs audiences foraines afin de permettre une régularisation massive de l’état civil.
La législation du pays en la matière repose essentiellement sur la loi du 19 novembre 2018 relative à l’état civil.  

La loi du 19 novembre 2018 

 

  • Mali  

La régularisation de l’état civil au Mali passe par le jugement supplétif d’acte de naissance délivré dans le cas où les parents n’ont pas déclaré la naissance de leur enfant dans le délai légal requis ou lorsque les documents d’état civil ont été perdus.
Le pays a institué une direction nationale de l’état civil (DNEC) qui a pour mission d’élaborer et de mettre en œuvre les éléments de la politique nationale relative à l’état civil, de participer à l’élaboration des projets de textes législatifs et réglementaires en matière d’état civil, mais aussi de mettre en adéquation la législation nationale avec les conventions internationales relatives à l’état civil ratifiées par le Mali.
Par décret du 16 août 2018, le gouvernement malien a programmé un plan d’action 2018-2022, intitulé « stratégie nationale de l’état civil », afin de moderniser le système de l’état civil, mais aussi de le sécuriser au regard des standards internationaux. 

Accéder au site de la Direction Nationale de l'Etat Civil au Mali

Le programme national données-clés

Accéder à tous les textes officiels sur l'état-civil au Mali

 

 

  • Niger  

Au Niger, lorsque la naissance est effectuée hors des institutions médicales, l’établissement de l’état civil de l’enfant s’effectue par une demande adressée aux autorités judiciaires afin d’obtenir la délivrance d’un « extrait de jugement supplétif » qui tient lieu d’acte de naissance.
Les questions relatives à l’état civil sont traitées par les tribunaux d’instance à l’occasion d’audiences foraines pour les zones les plus éloignées. Ces audiences foraines sont organisées à l’initiative des juges ainsi qu’à la demande de certains organismes nationaux ou internationaux intervenant dans le domaine de l’enfance qui prennent en charge le financement.

 

  • Sénégal 

La régularisation des personnes sans état civil repose sur les procédures de jugement d’autorisation d’inscription de naissance et des audiences foraines.
La procédure de jugement d’autorisation d’inscription de naissance est prévue aux articles 87 et suivants du code de la famille sénégalais, pour l’enregistrement de l’enfant âgé de plus d’un an. Tout enregistrement tardif d’une naissance passe donc d’abord par cette procédure d’autorisation judiciaire, permettant ainsi la régularisation par le biais d’un jugement judiciaire.

 

 

Les difficultés constatées

Le principal problème relevé est celui de la fraude sur l’âge.
Ainsi un arrêt de la Cour suprême du Sénégal en date du 6 avril 2016, concernant un jugement d’hérédité qui omettait une personne de la liste des héritiers du défunt, ce dernier ayant modifié son état civil pour minorer son âge.
L’éloignement des instances judiciaires, notamment dans les régions rurales, constitue également une difficulté.

L’arrêt de la Cour suprême du Sénégal du 6 avril 2016 

Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ont recours aux audiences foraines organisées dans les régions éloignées, les populations démunies ne pouvant accéder aux lieux d’enregistrement de l’état civil.
Cette procédure permet d’obtenir un jugement supplétif d’état civil délivré selon des modalités simplifiées puisque le juge se déplace directement dans la municipalité concernée. Les demandeurs peuvent se présenter directement devant le juge, munis des documents nécessaires et accompagnés de témoins. La délivrance de l’acte d’état civil suit immédiatement la décision, au lieu de deux semaines d’attente à partir du jugement rendu au siège de la juridiction.

Outre les fraudes liées à l’âge et l’éloignement géographique des instances juridictionnelles, les juges doivent faire face aux fraudes à l’identité lors des élections,  ainsi qu’à la corruption des fonctionnaires ou d’intermédiaires qui prélèvent des sommes indues pour l’obtention d’un jugement supplétif d’état civil.