Terrorisme : les Recommandations de l’AHJUCAF présentées à l’ONU

L’AHJUCAF a participé, le 23 juillet 2019 au siège des Nations Unies, à New-York, à une conférence sur le thème « Voix du Sahel : réponses judiciaires au terrorisme », organisée par l’ONG Global Center on Cooperative Security, en collaboration avec l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la Direction du Comité exécutif de l'ONU pour la lutte antiterroriste (DECT) et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), avec le soutien du gouvernement canadien.
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Le programme de la conférence

Devant une salle comble, la séance a été ouverte par Mélissa Lefass pour Global Center, S.E. David Drake, Représentant spécial du Canada auprès du Forum mondial de lutte contre le terrorisme et Patricia Herdt Représentante adjointe de l’OIF auprès des Nations Unies.

Intervention de Patricia Herdt
 

 

Junko Nozawa, juriste au Global Center a rappelé le cadre international spécifique des réponses au terrorisme dans les pays du Sahel. Jean-Paul Jean, Président de chambre honoraire à la Cour de cassation et Secrétaire général de l’AHJUCAF a introduit le débat par un rappel des conditions dans lesquelles les premiers présidents des Cours suprêmes judiciaires du Sahel, - Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad - ont adopté le 2 mars 2018, à Dakar les Recommandations de l’AHJUCAF définissant des lignes directrices dans la lutte contre le terrorisme, tenant compte de chaque réalité locale, pour concilier efficacité et respect de l’Etat de droit.

Accéder aux Recommandations de Dakar

Jean-Paul Jean a ensuite modéré un échange interactif avec Badio Camara, Président de la Cour suprême du Sénégal, vice-président de l’AHJUCAF et Alizeta Koné Compaoré, Secrétaire générale au Ministère des droits humains et de la promotion civique du Burkina Faso.

 

 

Jean-Paul Jean a insisté sur les défis auxquels sont confrontés les systèmes judiciaires des pays du Sahel, notamment les moyens dont ils disposent face au nombre d’affaires dont ils sont désormais saisis, les rapports avec les autorités militaires, le recueil des preuves, ainsi que des thématiques traitées avec les magistrats spécialisés lors des séminaires : la question spécifique des mineurs, les qualifications juridiques et problèmes procéduraux, la coopération régionale directe entre magistrats, et la nécessité de juger dans un délai raisonnable les personnes arrêtées.  


Badio Camara a présenté la situation du Sénégal, et notamment deux procédures avec la qualification pénale d’apologie du terrorisme ayant abouti à des acquittements au regard du droit constitutionnel à la liberté d’expression, décision nécessairement incomprise par les autorités politiques du pays et les citoyens. M. Camara a évoqué plusieurs pistes de travail afin d’améliorer l’efficacité des procédures, de favoriser les échanges de jurisprudence et de rendre les décisions de justice plus claires et motivées.


Alizeta Koné Compaoré, par ailleurs ancienne directrice des affaires pénales, a évoqué son expérience au Burkina Faso, pays frappé depuis 2015 par des attaques terroristes. Les autorités, confrontées à leur impréparation au moment des premiers attentats, ont enrichi leur dispositif judiciaire en 2016, avec un pôle judiciaire spécialisé dans la lutte contre le terrorisme et un autre spécialisé dans la lutte contre le blanchiment et la corruption, mais depuis 2015 aucune affaire de terrorisme n’a été jugée. La recherche des preuves est rendue difficile, la peur des représailles fait que la population est réticente à collaborer avec les autorités. Les avocats refusent d’intervenir dans les dossiers terroristes par peur du jugement de la population.


Au Burkina Faso, plus de 500 détenus au titre d’une affaire de terrorisme se trouvent en attente de jugement, auxquels s’ajoutent les personnes arrêtées depuis l’état d’urgence instauré en décembre 2018. La situation dans les prisons a des conséquences lourdes sur la radicalisation des détenus.

 

 

Les échanges entre intervenants se sont poursuivis avant une série de questions et réponses avec l’auditoire composé d’experts et de représentants des Etats membres, qui ont souligné l’intérêt et la qualité des Recommandations adoptées par l’AHJUCAF à Dakar. Parmi eux, Chloé Boniface pour la Représentation française a interrogé les intervenants sur la question des mineurs dans les affaires de terrorisme. Roger Bilodeau, qui représentait la Cour suprême du Canada, membre de l’AHJUCAF, a souligné l’engagement de toutes les Hautes juridictions francophones pour soutenir leurs collègues du Sahel.

Julien Savoye, conseiller juridique à la direction du Comité contre le terrorisme (DECT) a conclu la conférence en rappelant l’importance du travail mené par le Conseil de sécurité sur les questions de terrorisme, dont les Résolutions 1373 et 2396, en rappelant aussi le régime protecteur des enfants consacré dans la résolution 2396. La DECT finalise actuellement un guide de lignes directrices pour faciliter l’utilisation des éléments recueillis par les militaires comme preuves en lien avec les Recommandation de Dakar dont il a souligné l’intérêt des propositions touchant notamment au recueil des preuves, au traitement des mineurs, à la correctionnalisation et à la coopération internationale. M. Savoye a conclu sur l’importance du rôle des Cours suprêmes judiciaires, à la fois dans leur rôle formel qui consiste à dire le droit mais aussi dans leur rôle informel en tant que guides du système judiciaire dans son ensemble.

Accéder au compte-rendu de la conférence
rédigé par Julien Patte, Chargé d'affaires politiques et sociales (Représentation OIF auprès des Nations-Unies)